On ne guérit pas d’un traumatisme, on ne peut qu’apprendre à vivre avec. C’est la seule solution. La souffrance parfois s’apaise. C’est un havre de paix éphémère car l’amputation demeure malgré, même si… Elle surgit au détour d’un regard, d’une photo, d’un mot. On pensait la bête morte dans sa grotte et soudain elle bondit sans crier gare, plus vivante et plus acide qu’elle n’a jamais été, gonflée de la force indestructible d’avoir traversée les années et d’être toujours là.
Pour ma part, c’est souvent le témoignage d’une autre qui fait resurgir mon traumatisme. Dernièrement c’est en écoutant et regardant l’interview de Corinne Masiero que ma souffrance m’a happée encore une fois. Avec des mots simples et son franc parlé, Corinne raconte comment une photo ancienne a permis à sa mémoire de lui révéler son traumatisme.
Pendant le confinement, Corinne décide de faire du tri dans ses affaires et elle retrouve une photo d’elle enfant presque jeune fille. Auprès d’elle, un garçon son cousin va commettre l’irréparable. Elle oublie, du moins sa conscience occulte les faits, c’est la sidération. Son inconscient fera en sorte que la photo sera conservée pendant des années au fil de ses périples jusqu’au jour où le conscient est près à encaisser le choc. Et là soudain, tout s’explique : les années d’errance, la rue avec ses violences. Corinne parle du fléau de l’inceste dans toutes les couches sociales. Elle parle de la manipulation exercée sur l’enfant au nom de l’amour dans le carcan de la famille.
Le non-dit, le mensonge, la culpabilité, la honte détruisent l’enfance à jamais. Je raconte mon parcours de survivante dans mon livre « J’irai danser sur l’arc-en-ciel » et je termine par : J’avais 32 ans quand j’ai franchi la porte du cabinet d’une psychologue pour la première fois ; 45 ans lorsque la scène avec mon grand-père est revenue à ma conscience. Aujourd’hui j’ai 60 ans, je viens d’être grand-mère et j’écris ce livre. Il faut du temps pour que le cuir prenne sa patine, pour que le chêne devienne majestueux, pour que le regard se pose enfin sur l’arc-en-ciel où un jour j’irai danser.